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27 novembre 2019 3 27 /11 /novembre /2019 12:18

Track : Disturbed - The Sound Of Silence

 

Poète avait l’œil noir. C'était moche.

Partout les ombres accouraient, surgissaient, dégueulées par la pénombre. Elles sautaient les barricades, engloutissaient les défenses. Une déferlante grouillante qui ne laissait rien de vivant derrière elle.

Qui arrivait par tous les côtés.

« Dépêche, Satyre !
_ J’fais c’que j’peux ! » souffla en trois fois l’être difforme et cornu, chaussé de sabots qui dérapaient sur la terre argileuse.

Ce ne fut que lorsque les ombres lui caressèrent le dos qu'il franchit d'un bon le seuil de la herse. Poète, tranchant la corde de retenue, fit choir avec fracas la lourde grille découpant net les premiers poursuivants. Une dizaine d'autres s'écrasèrent violemment dessus en suivant, dans un râle commun d'effort.

Poète pris le temps d'observer les ombres qui s’agglutinaient sur la herse. Il en dévisagea une longtemps, impassible. Il étudia son visage instable et grimaçant sous la poussée de la foule. Puis il regarda par-dessus la déferlante qui continuait de fondre sur eux.

Assis sur une branche d’arme, le petit monstre suivait la scène, tandis que l’armée des ombres défilait sous ses pieds. Poète, par réflexe, le salua d’un mouvement de tête. Le petit monstre le scrutait, mais il ne broncha pas. Il ne répondait jamais.

Satyre s’inquiéta, parce que c'était ce que Satyre faisait le mieux, en tout cas le plus fréquemment.

« Elle va tenir, la Herse ?
_ Non" admit Poète, se détachant de sa contemplation.  "Les défenses ont lâchées,  les ombres sont trop nombreuses.
_ On a une issue, quelque part ?
_ Non.  Nous sommes acculés. Même les souterrains sont pris.
_ On va s’en sortir ?"

Poète regarda son ami. Ce fut la première fois qu'il réalisa que de tous, c'était lui son préféré.
"Non. soupira-t-il enfin. Je pense pas. Pas cette fois. »

Satyre étouffa un sanglot soudain, sorti de nulle part, comme en ont les enfants.

« Il s’est passé quoi, merde ?!
_ Tu le sais, Satyre.
_ Il est mort ?
_ Oui.
_ Contre qui?
_ Lui-même, le cou sur son épée.
_ Mais… c’est l’anathème, ça ! La lumière ne voudra pas de nous ! »
Poète grimaça : « On fera sans. On a toujours fait sans. »

_ Mais Chevalier peut pas vraiment mourir…
_ Si.  En trahissant tous ses serments.
_ Mais… Pourquoi ?
_ Pourquoi ?! »

La violence de l’exclamation de Poète fit sursauter Satyre.

« Pourquoi ?! Tu te fous de moi, j’espère ?!
_ Mais..
_ Ta gueule ! hurla Poète, tremblant d'une colère blanche. Tu demandes pourquoi?! Pour toi! Ouais, toi! et puis pour moi! Et pour à peu près tous les putains de leur mères ici! Faut couvrir les arrières?! Chevalier! mais si, ça lui fait plaisir! Il donne aussi dans la charge héroïque, mais sa spécialité, c'est bien entendu la défense, hein?! Quand toi tu faillais, hein Satyre, qui devait monter au créneau? Comment crois-tu que je pourrais tenir la plume s'il n'était pas à côté pour porter l'épée?! Soyez tous rassurés, Chevalier veille, c'est acquis, il encaissera le coup avant vous. Et bien voilà! C'est fait, alors s'il te plaît...
Il s’appuya contre le mur, et se laissa s’écrouler. « ...ta gueule… »
Les sanglots montèrent dans sa gorge, qu'il contracta pour continuer de répéter dans un chuchotement souffreteux « Ta gueule, ta gueule, ta gueule…»

Satyre brisa le silence qui s'installait lentement. Ne serait-ce que parce qu'en guise de silence, les centaines d'ombres qui s'écrasaient contre une herse dont le métal souffrait et commençait à chanter, ça n'était pas du tout de son goût.

« Chevalier est mort. Du coup l’état d’Urgence est déclaré, toutes communications entre la tête, le cœur et les tripes sont coupées, et c’est Trompe-La-Mort qui a les pleins pouvoirs. Mais c’est pas la première fois que l’on voit l’état d’Urgence, hein ? Et les autres fois, on s’en est finalement sortis, non ? »

« Je n’y compterais pas pour cette fois-ci. »

La voix qui venait de s'exprimer était posée, mais l'empreinte du drame qu'elle portait la rendait lugubre. Poète et Satyre tournèrent la tête pour voir Trompe-La-Mort apparaître dans la pièce. Privilège des pleins pouvoirs, il était le seul à être en mesure de se déplacer librement. En voyant sa tenue, les deux autres échangèrent un regard complice, lourd de sens. D’habitude, Trompe-La-Mort était débraillé, voire nu, tatouages apparents et la nonchalance de celui qui n’a cure du jugement des autres. Là, il était vêtu de noir de la tête au pied, dans un style bien trop solennel.

Poète échoua à lui sourire, aussi il se contenta d'un:
« ça se passe comment ?
_ Mal j'en ai peur. J’essaie de gagner du temps mais sans Chevalier, je n’arrive pas à les retenir. Le petit monstre les guide, ils empruntent tous les passages secrets, c’est une première. Notre force se retourne contre nous. Les tripes viennent de tomber, elles sont aux mains des ombres. Je suis venu parce que, vous étant réfugiés dans le cœur, vous êtes les prochains.
_ On a pas eu le choix !" se défendit Satyre, qui n'appréciait guère être taxé d'imprudence. "On a tenté de rejoindre la tête par le cou mais tout était fermé ! Herse, pont levis redressé, même les passages étaient murés!
_ J’ai pas eu le choix, Cornu. Les ombres viennent de chez vous, de la région du cœur. J’ai dû tout barricader. Sinon nous serions déjà tous mort.
_ Et ça change quoi, de gagner du temps ? » brusqua Poète, miné.

Trompe-La-Mort haussa les épaules.  « Probablement rien. Mais c’est la procédure. »

Il y eu un silence, puis Trompe-La-Mort acta:

« T’as merdé, là, Poète. »

Poète baissa la tête, cachant une grimace de souffrance contrite. « Je sais ».

« Satyre, reprit Trompe-La-Mort en changeant de cible, vu qu’on va tous y passer, j’ai un service à te demander. »

Les yeux bouffis de larmes de Satyre s’ouvrirent de surprise.

« Je voulais te laisser tranquille, mais le temps nous est compté. Je suis en train de tout faire pour que nous puissions régler un maximum d’affaires courantes et que l’on parte proprement. On a vécu que dans la merde, la souffrance, le mensonge, et la peur. J’ai envie qu’on parte entiers, et debout.
_ Et… ?
_ Et je voudrais que pour la fin, tu nous montres ton vrai visage. Partir en étant nous-mêmes. » lâcha Trompe-La-Mort en se dressant devant lui.

Poète releva la tête, soudain captivé au delà de son marasme. Satyre présentait un inconfort certain, dansant d'un sabot à l'autre, bredouillant tout bas. Trompe-La-Mort le fixait d’un regard qui transperce l’âme et qui a encore assez de puissance derrière pour traverser quelques murs de béton. Il reprit :

« On va pas se mentir, tu faisais un piètre Satyre. Tu n’as pas grand-chose en commun avec ces bestioles. Tu as toujours respecté nos ordres, chaque personne, et t’a jamais montré la perversion que tu affiches fièrement dans ton discours. On le sait tous, que tu es une fraude pour ton espèce. Que t'es pas vraiment un Satyre. On te laisse prétendre, parce qu'on t'aime comme ça. Je voudrais, si tu l’acceptes, que pour notre crépuscule, tu te montres à nous, sans craintes ni faux-semblants. »

Satyre resta silencieux et immobile. Ses lèvres tremblaient.

Poète appuya la demande d'un « S’il te plait, Satyre. » dans laquelle pesait une amitié intense.

Les contours de Satyre se firent flous, sa silhouette muta. Au bout de quelques secondes brumeuses, le masque était tombé.
Là où il se trouvait, pleurait, assise au sol, une jeune femme aux cheveux multicolores en bataille, inconsolable. Un bandeau de velours rouge écarlate passait autour de sa tête et sur ses yeux. Ne souillait son visage qu'une seule et unique larme de sang, paresseuse, immobile, sur sa joue gauche. Pourtant ses pleurs, saignements de l'âme, semblaient venir et résonner du ciel, des arbres et des murs, du sol, du cœur de tout ce qui vit. Poète se prit la tête entre les mains. Trompe-La-Mort n’écrasa pas la larme qui vint mourir à la commissure de ses lèvres. Il s’approcha de la jeune fille, s’assit à son niveau, l’enlaça autant de délicatesse que de ferveur, et l'écouta longuement pleurer dans ses bras.

« ça faisait longtemps que l’on ne t’avait pas vu, on se faisait du souci", lui chuchota-t-il en profitant d'un sanglot plus timide. "Allez, calme toi, tu es chez toi maintenant. Ne t’en fais pas, cela ne va plus être très long. Merci d’avoir accepté de te montrer. Tu vas voir, on a peut-être jamais réussi à vivre, mais notre sortie, on va pas la louper. »

Il posa un baiser tendre et délicat sur ses doux cheveux multicolores, dans lesquels dansaient les quatre saisons, la vie, et la mort.

« Merci d’être avec nous, Amour. »

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30 juillet 2015 4 30 /07 /juillet /2015 16:53
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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 09:59

Va-t’en, obscurité.

Va-t’en.

Je t’ai servi, plus qu’à mon tour.

J’ai porté ton blason, l’ai assumé face aux armées lumineuses bien pensantes, me suis roulé dans l'encre noire lorsque les petits matins chantaient, pour me protéger des lueurs de l’aurore même.

J’ai gagné tes gallons, j’ai trôné sur ton royaume.

J’ai refusé le jour, épousé la nuit.

J’ai guerroyé sans fin dans la basse-fosse, répandant les tripes de mes démons, marquant mon corps des cicatrices de l’âme.

J’ai survécu où personne ne survit, je suis revenu d’où l’on ne revient pas.

Et j’ai fait tout ce chemin à tâtons.

Plusieurs fois.

Va-t’en, obscurité.

Maintenant je veux aimer, rire.

Maintenant je veux vivre, construire.

Tu es en moi, mais s’il te plait, va-t’en.

Écarte-toi, juste un peu.

Laisse-moi chanter quelques couplets, laisse-moi croire un instant, laisse-moi me réchauffer quelques secondes.

Laisse-moi espérer.

Juste une seconde. Le temps d’imaginer une vie éclore, enfin.

Une merveilleuse seconde, faite de lendemains.

Une levée de violons, un optimisme inespéré, une épée haut brandie, et de l’envie, ô mon dieu, de l’envie.

Rien qu’une seconde. Va-t’en.

Laisse-moi rêver aujourd’hui.

Ce soir tu reviendras.

Dans mon âme, toute lueur tu éteindras.

Je t'entendrai rire, tu m'écouteras pleurer.

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19 novembre 2013 2 19 /11 /novembre /2013 17:05

Il est dix-huit heures.

Dix heures que je suis debout, cinq cafés dans le ventre.

J'ai faim.

J'ai mangé un bout de pain, j'ai vomi.

J'ai faim quand même.

Passons.

La France et le monde deviennent un vrai background de film noir, entre néorascime assumé et homophobie décomplexée, niveau économique et emplois, les espagnols nous font coucou.

Coucou.

Complètement coulé financièrement, je ne dois ma survie qu'à la générosité de mon père qui me renfloue presque mensuellement, toujours avec le sourire. Il a fini, la semaine dernière, par me faire comprendre qu'il avait lui-même, à force, de l'eau jusqu'aux genoux. J'ai répondu que j'allais faire en sorte de ne plus faire appel à lui. J'étais sincère dans ma volonté. Mais ce que la vie -- ma vie -- m'a appris, c'est que sur le coup, j'ai probablement menti.

31 ans, toujours un enfant.

On apprend tous les jours. Ce week end, j'en ai appris une nouvelle. Je me pensais un animal particulièrement sociable, étant parvenu jusqu'alors à m'intégrer à toutes les tablées, aussi différentes de moi fussent-elles. J'ai passé de très agréables repas avec des chirurgiens, des comptables, des musiciens, des vieux, des gens de droite, même avec des sportifs, c'est dire. Eh bien ce week end j'ai découvert qu'il existe une frontière que la sociabilité la plus entrainée ne peut outrepasser, c'est celle de la jeunesse.

En effet, j'ai le malheur de cotoyer un soleil bien plus jeune que moi, depuis six mois aujourd'hui. Notez que j'ai lutté, hein, pour ne pas laisser un soleil si vert se perdre dans mes filets décrépis. Notez aussi que la seule chose qui rassure mes violentes angoisses sur la peine et la déception que je lui causerai tôt ou tard, c'est que ce soleil est radieux et très entouré, et surtout que j'ai déjà indentifié dans son entourage celui avec qui elle finira, et ils seront beaux. Si si.

Bref, samedi dernier me voilà convié à une tablée dont j'étais l'ainé avec une marge appréciable, six ans minimum, quatorze ans -- putain, quatorze -- maximum. J'étais malgré tout confiant. Ayant réussi à me faire accepter en tant que chômeur sans diplôme par des tablées de chirurgiens, j'étais sûr de mes capacités d'adapation.

Et paf le dupataf.

Dès l'apéritif, je réalise avec effroi que j'ai été présenté à eux en mon absence comme écrivain. Première étape, expliquer que je ne suis pas publié parce que je ne suis pas assez bon. Echanges de regards furtifs moqueurs.

Tiens, une bière.

Toujours à l'apéritif, quelqu'un emploi le mot "congruance". Je n'ai pas le temps de demander la définition du terme que toute la tablée me la réclame à moi, "l'écrivain". J'avoue mon ignorance. Quolibets. La scène se reproduira deux ou trois fois. Je suis nul en vocabulaire. Ouais, je sais, je suis nul en écrivain. On me le glisse, d'ailleurs, gentiment. Ou pas.

Tiens, une bière. Faut que je la savoure, c'est ma dernière, je conduis, et on est même pas encore à table. Là, je commence à douter. Je décide de ne pas paniquer. En fait, j'ai pas le choix. Je serais venu seul, je serais déjà parti, et personne ne s'en serait rendu compte. Mais je ne suis pas venu seul.

Le repas débute, on ne me parle que par politesse, vous savez ces quelques phrases banales, ces questions de circonstance, posées l'oeil torve et le ton monocorde, parce qu'il faut, tout en tendant l'autre oreille vers des discussions plus intéressantes. Je réponds au mieux. Je réalise à la fin d'une phrase que mon interlocutrice ne m'a pas écouté. Elle est déjà rentrée dans une autre discussion.

Une bière. Fuck la police.

Et le reste du repas le nez dans mon assiette.

Fin de la tablée, ça migre sur la wii.

Les filles enquillent les "Just Dance". J'y ai joué des heures avec ma petite soeur, je me dis qu'avec un peu de chance cet entrainement me servira ce soir. Bien entendu, par mon double statut de mâle et de vieux machin, personne ne me propose. Je comprends qu'il faut que je m'impose, au moins pour mettre une toutouille à ces minettes sur le "Pump It" que je connais par coeur. Mais le courage me manque, le début de soirée a eu raison d'une bonne partie de mes forces, et je reste en retrait, à les regarder. Elles s'amusent bien. Je n'aurais rien à y faire. Des mecs jouent avec elles, maintenant. Ils s'éclatent. Je sors fumer une clope.

Au retour je m'installe à la table, un peu en retrait, pour les observer jouer, voir mon soleil sourire. L'homme le plus jeune de la soirée, la vingtaine, passe dans mon dos: "oulah, ça sent le renfermé, là, ça sent le vieux."

Je tourne vers lui des yeux ronds de surprise, ne m'attendant pas du tout à un tir de sniper.

Hilare devant moi, il rajoute: "sinon, en vrai, j'suis un mec sympa".

Le pire, c'est que je n'en doute pas. C'est juste moi qui ne suis pas à ma place.

Nulle part.

Les mecs se rebellent, et prennent la Wii de force pour jouer à Mario Kart. C'est mon sniper qui mène la révolte, autant vous dire qu'on ne m'a pas proposé de manette. Je les regarde un peu jouer, la moitié d'une course, le temps de réaliser que le plus mauvais de mes amis aurait humilié leur champion. Je finis par me dire que c'est une bonne chose qu'on ne me propose pas de jouer, que je les ridiculise en jouant vraiment ou que je fasse semblant de perdre, j'en aurais pris plein la tronche. 

Je cherche une bière. Mort aux vaches. Mais je réalise que je ne rentre pas seul. Ne voulant mettre personne d'autre que moi en danger, j'arrête l'alcool.

Ne pouvant plus boire, faisant trop froid pour passer la soirée sur la terrasse à fumer, la fin de soirée fut longue.

Le bilan, un échec cuisant.

C'est le deuxième échec de ce type, que j'attribue, sûrement par facilité, à l'âge. Le premier, c'est que pour la première fois de ma vie je suis persona non grata par ma belle famille, qui refuse de me rencontrer, et n'espère, finalement, que ma disparition dans la vie de leur fille. Le vieux machin, écrivain raté, qui a l'outrecuidance d'être en couple avec leur fille, jeune et rayonnante, qui tient le monde dans ses mains.

Fair enough.

Tournons nous vers l'avenir, alors!

Oh oui, l'avenir.

Bientôt plus de droits assédics. Un mois de contrat qui m'attend en décembre, dans un boulot qui m'a fait exploser lors des dernières missions en moins de cinq jours à chaque fois. Bien entendu, je n'ai pas droit à l'erreur, c'est toute l'entreprise de mon frère, mon colloc, qui pourrait être en péril si j'échoue. Bien entendu, en période de Noël ce boulot est dantesque. Or, même en août j'ai réussi à exploser dessus.

Oh oui, l'avenir.

Ma vie, ce sont des chiottes crâdes, une lunette cassée et des gouttes de pipi aux murs.

Oui, mais ça sent la pinède.

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14 novembre 2013 4 14 /11 /novembre /2013 14:58

Bouteille à la mer

Androgynes égarés

Plage déserte

 

Marchand de sable

Epave si échoué

Plaide coupable

 

Fuite des sens

Obsolescence programmée

Chant du silence

 

Hello darkness my old friend

I've come to talk with you again...

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6 septembre 2013 5 06 /09 /septembre /2013 13:42

Assis sur un rondin non loin de la rune magique, mines sombres et têtes basses, Poète et Satyre ruminaient silencieusement, attendant l'ouverture du portail. Poète répétait encore et encore les quelques sorts qui seraient vitaux lorsque jailliraient de la brèche des centaines de monstres. Il n'était pas serein, il avait perdu beaucoup de puissance dans le rituel. Satyre, lui, ruminait. Tout simplement.

Puis il y eut un son lourd et poisseux. Celui d'une pièce d'armure qui tombait dans la boue. Ils levèrent tous deux la tête. Chevalier, quelques mètres devant eux, qui se tenait depuis un moment immobile, debout, venait de détacher une de ses épaulières rouillées, la laissant choir au sol, comme on se débarrasse d'un fardeau. La deuxième ne tarda pas à suivre sa jumelle à terre. Satyre et Poète n'eurent d'autres réactions que de l'observer silencieusement. Il était en proie à une souffrance palpable. Quelques dizaines de mètres devant lui, la brisure dimensionnelle ronronnante continuait de grandir, comme une promesse funeste.

Chevalier était fatigué. Ses épaulières lui semblaient trop lourdes, alors il s'en était débarrassé. Son plastron aussi, qu'il chercha à retirer. Mais les lanières dorsales étaient difficiles d'accès, aussi il s'énerva à ne pas pas les atteindre. Finalement ce fut les doigts de Satyre qui s'en chargèrent, Chevalier lui jeta un coup d'oeil plein de gratitude triste. Les jambières et le casque connurent le même sort. L'instant d'après, Chevalier n'était plus qu'un homme torse nu, en pantalon de toile froissé d'avoir transpiré sous des pièces d'armure. Pourtant, encore, il se sentait trop lourd. Comme s'il voulait retirer ses muscles, ses os, qui lui pesaient trop. Sa tête. Sa vie.

Il chercha en lui la force d'aller prendre position en première ligne, près de la brisure. Il mit du temps à se faire à l'idée, à se mouvoir, lui qui avait l'impression de peser une tonne, de n'être qu'un objet inerte, inamovible, dénué d'envie et de vie. Il entreprit de ramasser sa gigantesque épée pour aller prendre place. Mais l'absurdité de ce morceau de métal gargantuesque lui apparut plus que jamais, tandis qu'il peinait à le soulever même. Il en avait pourtant la force physique, à meilleure preuve, dans un rictus grimaçant de rage, il leva cette arme inhumaine comme d'autres jouent avec un fleuret, et la planta violemment au sol, droite, s'en débarrassant à jamais. Alors, il sorti du fourreau sa vielle épée bâtarde, celle qui l'avait tant de fois accompagnée, celle qui avait connu les entrailles du Dragon Noir, et fit quelques moulinets. C'était une arme émoussée par les combats et le temps, ternie par l'humidité, dont la garde portait les stigmates du blason du royaume de Lumière, qui y avait été apposé, puis retiré. C'était une arme humaine, humble. De celles que portent ceux qui meurent par milliers sur un champ de bataille, dirigés par des généraux pour qui les pertes humaines ne sont qu'une soustraction sur un chiffre global. C'était son épée. Elle lui sembla un peu lourde, quand même.

Enfin il entreprit, d'un pas lent et douloureux, de se rapprocher de la première ligne. Jamais il n'avait ressenti pareille lassitude, pareille tristesse. Il savait pertinemment quelle en était la cause. Les racines étaient profondes, il fallait remonter le temps, jusqu'au tout, tout début.

Au commencement.

Au commencement, il y avait la famille de Chevalier. Une mère veuve et ses sœurs. La vie n'est déjà pas simple à Sombrenuit. Pour une femme seule avec enfants, cela tenait du chemin de croix. Le premier souvenir dont disposait Chevalier était d'avoir, vers ses trois-quatre ans, fait sourire sa mère, avec un dessin qui avait pourtant provoqué les railleries de ses sœurs. Ce fut la première fois qu'il la vit sourire. Il en retint aussitôt une responsabilité. Jusqu'à ses sept ans, son unique préoccupation fut de faciliter au possible la vie de la ferme, et de provoquer le sourire rare d'une mère noyée d'obligations. Puis vint l'âge de raison, et les devoirs qui vont de pair. En plus du soutient moral, il prit très vite, en tant que seul homme de la famille, des postes de plus en plus cruciaux dans les travaux, agricoles, ménagers ou familiaux. Approchant de l'âge de la cérémonie de l'Envol, il était devenu la pièce angulaire de la famille.

Au point qu'il se rendit à la Tour Sombre, rencontrer l'Empereur lors d'une séance de doléances, pour lui demander d'être exempté de la cérémonie de l'Envol, ses obligations à la ferme familiale ne lui permettant pas de partir ainsi pour un temps indéterminé. Il ne put rencontrer l'Empereur, celui-ci était déjà devenu fou, reclus au sommet de son donjon. Ce fut l'Impératrice, la Nuit, qui le reçut. Celle-ci fut touchée par la vaillance de ce petit homme – Chevalier n'a pas souvenir avoir été un enfant – mais ne put rien pour sa requête. La cérémonie de l'Envol était la tradition la plus sacrée de Sombrenuit, et nul ne pouvait s'y soustraire, quelles qu'en soient les raisons. Mais la Nuit s'engagea tout de même pour ce petit être si volontaire. Elle lui promit qu'un aide agricole serait dépêché à la ferme familiale durant son absence aux Murs. Elle s'engagea même à ce que ce garçon reste employé de la ferme au frais de l'Empire après son retour. En contre partie, elle exigea qu'à sa redescente du mur, il se présente à nouveau face à elle, et entre au service de l'Empereur. Un peu intimidé, Chevalier finit par accepter. La ferme avait besoin de cet aide. L'idée de voir d'autres horizons ne lui déplaisait pas non plus. Pourtant au fond de lui naquit une culpabilité qui ne disparaîtrait jamais, celle d'avoir abandonné son foyer. Car nul ne pouvait aider sa famille comme lui le faisait. Mais un coin de son esprit savait que l'Impératrice était en train de lui offrir une vie, certes de servitude aussi, mais qui lui serait propre, du moins un peu plus. Alors qu'il se confondait en remerciements tout en se dirigeant à reculons vers la sortie de la salle du trône, l'Impératrice, qui avait passé toute l'entrevue à l'observer avec une attention telle qu'il en était mal à l'aise, lui demanda s'il avait un nom. En Sombrenuit, le nom d'un enfant n'est pas choisi à la naissance. Ils portent un nom provisoire, jusqu'à ce qu'une dénomination leur soit trouvé, leur correspondant à la perfection. Il secoua la tête face à l'Impératrice, penaud :

« Non votre Altesse, pour l'instant, on ne m'appelle que « fils ». »

L'impératrice eut un large sourire.

« Mon enfant, désormais, tu seras « Chevalier ». Telle est la volonté de ton Impératrice. »

Il bomba le torse, fier comme un paon. Très rares sont ceux nommés par l'Empereur. Surtout pour un nom si respectable. Il se fendit d'une révérence et quitta la salle de doléance le cœur un peu plus léger.

Ce ne fut que quelques années plus tard qu'il comprit que les noms « fils » et « Chevalier » étaient absolument identiques. L'un dans une famille composée de filles, l'autre dans un Empire agonisant rongé par l'ombre, tous deux ne signifiaient qu'une servitude absolue, exigeants un total oubli de soi.

Le temps de former partiellement l'aide agricole, était venu le moment de la cérémonie de l'Envol. Celle de Chevalier ne ressembla à aucune autre. Déjà, parce qu'il y allait à reculons, la vivant comme une obligation contraignante, là où les autres enfants Sombrenotes piaffaient impatiemment durant des mois à l'idée de découvrir le sommet des Murs. Lui, il trouvait le garçon de ferme loin d'être suffisamment efficace, et voulait revenir au plus vite pour achever sa formation avant d'aller répondre à ses devoirs pour l'Empire. De plus, nul dans sa famille ne croyant une seule seconde qu'il était possible que Chevalier saute des Murs de Solitude et se soustraie ainsi à ses responsabilités, personne ne fit les efforts que font les autres familles pour persuader les enfants qu'il faut qu'ils choisissent la vie triste et noire de Sombrenuit. Personne ne broda des mois durant sa tenue de l'Envol. Il la fabriqua tout seul, de bric et de broc, en chemin. De mémoire de Sombrenote, on n'avait jamais vu plus piteuse tenue de l'Envol. Personne ne l'accompagna non plus aux Murs en chantant ses louanges. Tout juste eut-il droit à un laconique « Reviens-nous vite, c'est bientôt la récolte » en partant. Il fit le chemin vers les Murs de Solitude seul, au pas de charge, en priant pour que le Sondeur le laisse redescendre aussitôt, préparant ce qu'il lui dirait pour le convaincre de ne pas perdre de temps, que des responsabilités pressantes l'attendaient en bas.

Lorsqu'il pénétra dans les Murs de Solitude, il passa par la grande salle dans laquelle les enfants laissent les cadeaux reçus pour la cérémonie. Il n'en portait pas, mais avait au fond sa poche quelques pièces que lui avait confié sa mère pour acheter des pousses de racine noire sur le retour. Il s'interrogea brièvement pour savoir s'il devait les y laisser. Mais ça n'était pas un cadeau, c'était un devoir. Et les devoirs sont tout sauf des cadeaux. Aussi garda-t-il les quelques piécettes au fond de sa poche tandis qu'il démarrait l’ascension.

Lui qui pensait ne s'acquitter que d'une formalité ne pouvait imaginer une seconde que les événements qui l'attendaient au sommet allaient décider de sa vie toute entière.

 

Fin de la première partie de l'épisode 10 d'Eclats d'Âmes Circus, « Le Monde Pour Epaulières »

Générique :

 

Heureuse rentrée à tous :)

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30 juillet 2013 2 30 /07 /juillet /2013 08:22

« Ce que tu écris est nul

et ça manque de vocabulaire. »

 

Ainsi fauchée, la Plume,

Honteuse, se terre.

 

La vérité s'assume,

Se porte, se traîne.

 

Ainsi je me résume

Faux-espoir littéraire.

 

Un vieux tromblon, un casque troué,

Face à l'artillerie rutilante.

 

Je le sais et le savais,

ça n'est pas que ça me chante.

 

Tout, au monde, ce que j'ai,

Pour combler l'attente,

 

Que mes écrits imparfaits

Et ma joie décadente.

 

De là je partirai,

Ma Plume pour seule amante.

 

Je n'ai qu'elle.

Je n'ai plus qu'elle.

Je n'ai eu qu'elle.

 

Plume, n'écoute pas ceux qui ont la franchise

De te confesser ce que tu es.

 

Plume, ainsi soit-il, on te méprise,

Tu es tout ce que j'ai.

 

Qu'importe les flammes léchant les vitres

L'habitacle tiendra encore quelques lignes.

 

Sur une barricade, ou sur papier libre,

Je suis perdu, mais je suis libre.

 

Que flotte encore le drapeau rouge, ivre.

Jusqu'à mourir, je serai libre.

 

Ma Plume pour seule amante.

Nulle, inculte, inconsistante,

Finalement si ressemblante,

Alors, le poing serré, chante !

 

Je n'ai qu'elle.

Je n'ai plus qu'elle.

Je n'ai eu qu'elle.

 

Et je n'ai besoin de rien d'autre.

 

Ne pleure pas ta nullité, Plume.

C'est pas comme si, en vrai, on y croyait.

Y'a juste pas l'choix, alors assume.

Toi et moi, sommes condamnés.

 

Je n'ai que toi, tu n'as que moi.

Qu'importe notre médiocrité.

Plume, que meurent les Rois.

Car des têtes vont tomber.

 

Seuls contre tous

Dressons la barricade !

Ils nous diront fous

Nous serons camarades.

 

Pour toujours et à jamais,

Chante le poing levé, le menton droit.

J'étais seul quand je suis né,

Aujourd'hui je n'ai que toi.

 

 

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23 juillet 2013 2 23 /07 /juillet /2013 15:39

Blanche comme la mort.

Vide de mots.

Vierge de maux.

Tous en moi, encore.

 

L'encre refuse de saigner.

La barque s'innonde,

Mais refuse d'écoper.

Etouffe mon monde.

 

Suffoque et va crever.

Explose et va tuer.

Respire, respire,

Et va écrire.

 

Trop de mots, trop de maux!

Dans un si petit stylo.

j'ai retiré le capuchon,

Mais ils forment un bouchon.

 

Invisible et coriace,

Refuse ma plume et mes us.

Artère bouchée de rage,

Artistic Infarctus.

 

Page blanche,

Peine capitale.

L'écrivain flanche,

Surgit l'animal.

 

Un écrivain qui n'écrit plus,

C'est un oiseau qui ne vole plus.

Parmis les chats et les voitures.

Sautille la vie dure.

 

Ecrire n'est pas vital.

C'est de garder en soi, qui est létal.

Je veux m'envoler,

Mes ailes ne me portent plus.

 

Thomas Fersen chante pour moi:

"L'esprit est une enclume,

Et c'est lourd, une enclume,

Quand on est fait de Plume."

 

Loosing again.

Loosing again.

Loosing again.

Again, again, again.

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8 juillet 2013 1 08 /07 /juillet /2013 06:47

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28 juin 2013 5 28 /06 /juin /2013 17:09

Regarde pas en bas.

Regarde pas en bas.

Accroche-toi !

Accroche-toi !!!

Regarde-moi putain, regarde-moi.

Regarde-moi !!!

Tends ta main !

Attrape la mienne !

Plus !

Tends tout le bras !

Attrape ma main, putain !

Merde j'atteins pas.

Accroche-toi, je vais...

Accroche-toi !

A l'aide, si quelqu'un m'entends, à l'aide !

À l'aide !!!

Accroche-toi putain je te jure que je vais te sortir de là.

On va l'avoir, notre putain de belle histoire.

Mais lâche pas.

Tu lâches pas, hein ?

Accroche-toi !

Je te jure que je vais te sortir de là.

Je te le promets, tu m'entends ?

Regarde-moi !

Tiens bon !

A l'aide !!! A l'aide !!!

Est-ce que quelqu'un m'entends ?!

À l'aide !!!

...

Merde.

Regarde-moi.

Regarde-moi !

Tu vas t'en sortir.

Tu vas t'en sortir !

Si ! Putain, Si !

C'est pas fini, c'est pas fini.

Je te l'interdis.

Regarde pas en bas.

Je sais que t'as mal !

Regarde pas en bas ! 

Lâche pas. Lâche pas !

Regarde-moi !

Je sais que t'en peux plus, mais on y est presque !

Accroche-toi encore un peu !

A L'AIDE, PUTAIN !!! A L'AIDE !!!

Je t'interdis de crever là.

Je te l'interdis, tu m'entends ?!

Putain il faut qu'on trouve un...

Regarde !

Là ! Là !

Essaie de prendre appuis là.

Tu peux le faire !

Tu peux y arriver !

C'est un peu loin, essaie de te balancer.

Allez, tu peux le faire !

Fais attention !

Oui, c'est bien ! Comme ça !

Allez ! ALLEZ !!!

T'y es presque !

Regarde pas en bas !

Regarde pas en bas !

REGARDE PAS EN B... !

N-NON !

Merde.

MERDE !!!!!!

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