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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 16:26

 

 

« Schpok. »

 

Certains bruits ont un impact sans lien avec leur puissance sonore. Certains sons paraissent plus forts qu'ils ne sont réellement. Parce qu'ils restent en tête, aussi collants et puants à la mémoire que du mazout aux plumes d'un oiseau mort. Le cerveau, par souci de franchise, les amplifie, jusqu'à ce qu'ils hantent les nuits d'un tintamarre assourdissant.

Tout le monde avait entendu ce bruit. Grâce au silence coupable qui accompagne une pendaison sauvage, certes, mais malgré la pluie et le vent dans les feuillages, tout le monde l'avait parfaitement entendu.

Aujourd'hui, le village pendait une sorcière. On lui reprochait sa beauté mate, sa cartomancie, et tous les coups du sort qu'avait subie la misérable bourgade ces derniers mois. Les incendies à répétition. La fièvre qui emportait les plus faibles. Lorsqu'on avait surpris le gentil jeune homme du village, ancien enfant de chœur, préméditer sa fuite avec la gitane, c'en était trop. Elle l'avait ensorcelé, c'était certain! Comment ce bel homme, promis à de grandes études, leur fierté, pouvait-il autrement choisir une vie de bohème avec une sans-nom? Elle ne l'emporterait pas au paradis. On enferma le jeune-homme afin qu'il retrouve la raison en compagnie du prêtre. Puis, dans une ferveur aveugle entretenue par le nombre, le village décida de pendre la sorcière. Ainsi peut-être, se lèverait le mauvais œil qui s'était abattu sur eux depuis l'arrivée de la vagabonde, à la grâce d'un dieu bienveillant. Seulement voilà, leur dieu venait d'envoyer un message qui les laissait cois, et qui faisait

 

« Schpok. »

 

Sous la gitane pendue, le cou brisé net par un nœud à coulisse parfaitement préparé – il est certaines traditions qui ne se perdent jamais – gisait maintenant au milieu d'une flaque de boue et de fluides corporels un fœtus grimaçant. Tombé de sa mère comme la bouse d'une vache. Le cordon ombilical arraché des entrailles de sa génitrice gisait au sol. Silence de mort. Chapelet à la main, une petite vieille marmonna des prières en boucle, mains et voix tremblantes. Une autre défaillit, à peine retenue. Tous restèrent hébétés à regarder le petit corps. Finalement, quelqu'un cria:

« Il faut tuer l'enfant! »

Le tonnerre sembla lui répondre.

Un homme robuste, sur ses gardes, saisit lentement un lourd morceau de bois au sol. Puis il s'approcha du nouveau né, sous le regard pesant et inquiet de l'assistance. Du plus loin qu'il put, il toucha le petit être de son bâton, tel un enfant face à une charogne. Le cri du nouveau né le fit tomber à la renverse, de peur comme de surprise. La vieille dévote repartit pour un tour de chapelet fiévreux tandis que tous les villageois poussaient des gémissement de terreur. La même personne, le même cri:

« Il faut tuer l'enfant! »

Cette fois-ci, il fut accompagné d'un murmure d'approbation. Encouragée, elle poursuivit:

« Une engeance de ventre-plat! Le signe du démon! Fils de sorcière! Il faut tuer l'enfant! »

L'homme robuste, relevé, le cul souillé de boue, la fusilla d'un regard noir.

« Vieille folle. Je ne tuerai pas un nouveau-né, fut-il celui d'une morte.

_Alors c'est moi qui le ferai. »

Une jeune fille s'avança. On la savait amoureuse du jeune homme fugueur. Passionnément amoureuse et tout autant haineuse de la gitane. Elle saisit d'un geste brusque le bâton des mains de l'homme. Elle se dressa face à l'enfant, leva le plus haut qu'elle put le lourd morceau de bois. L'enfant cria encore. L'arme frappa, lui broyant le thorax. Quelques gargouillis plus tard, le silence était revenu. La jeune fille vacilla, en pleurs. Les villageois s'approchèrent d'elle avec des mots de réconfort, tandis qu'elle convulsait de sanglots devant le petit amas de chair aux yeux exorbités. L'homme au bâton, se sentant coupable, posa une main paternelle sur son épaule:

« Allez, viens, elles vont te raccompagner. Nous on va nettoyer tout ça, il faut que personne n'en parle, ou on aura des ennuis. »

Murmure d'approbation. Mines sombres, tous commencèrent à s'activer. Jusqu'à ce qu'un cri les alerte. A quelques mètres derrière eux, se dressait le jeune fugueur. Les mains couvertes de sang jusqu'aux avant-bras, il était brûlé de la tête aux pieds, si bien que toute pilosité avait été remplacée par la chair calcinée. Seuls quelques haillons noircis cachaient sa pudeur, mais il était difficile de comprendre comment il pouvait être encore en vie.

« QU'AVEZ VOUS FAIT?! »

Son hurlement était celui d'un dément. Derrière lui, au loin, tout le village était en feu. Les arbustes détrempés s'embrasèrent spontanément tout autour. Les villageois, terrorisés, reculaient. Seule la jeune fille ne bougeait pas. Tremblante, elle répétait « pardon... »

Il s'approcha d'elle. Sa vue se brouilla. Elle ferma les yeux.

Tout ne fut que magma de cris et chaleur intense.

Elle tomba à genoux. La boue était brûlante. Elle continua d'implorer son pardon.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, la vallée tout entière était en cendres.

Elle était seule.

 

(note de l'auteur: à l'origine ce texte avait été écrit pour un petit concours de nouvelle dont le thème imposé était "pendaison", le style imposé "Fantastique" et la longueur maximale 5000 caractères (oui c'est court). Il a gagné le droit d'être publié sur le Blog des éditions La Madolière (billet du 03 Juin 2010). Les encouragements de la personne responsable de cette maison d'édition ont beaucoup joué dans ma décision de me remettre pour de bon à l'écriture. En plus de cela elle s'est fendue d'une présentation fort avantageuse de votre serviteur. Bref, merci à elle!)

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commentaires

A
<br /> Court et très, très efficace.<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci mon coeur! =)<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> 5000 caractères, c'est court mais qu'est ce que c'est bon !<br /> Tu n'aurais pas pu trouver de meilleur titre...<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci Pierrick! Tu me manques buddy!<br /> <br /> <br /> <br />