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27 novembre 2011 7 27 /11 /novembre /2011 14:17

 

 

Nous avons tous nos marottes d'agacement. Ces petits riens insignifiants qui nous irritent, mais qui, malheureusement, n'irritent que nous, si bien qu'à chaque fois que nous les dénonçons en société avec un peu trop de véhémence, l'assistance nous dévisage au mieux avec un amusement condescendant, au pire avec inquiétude. Je dis bien insignifiants, hein, parce que des choses importantes qui nous sortent par les yeux, ça, il y en a bien plus, mais là n'est pas le sujet d'aujourd'hui. Nous y reviendrons plus tard, avec des fourches, des torches, et des têtes coupées en haut de piques. Si si. En chantant, même.

 

Patience, amis imaginaires.

 

Un des petits riens qui me saoule depuis plusieurs années maintenant est une expression pas simplement passé dans le langage usuel, si ça n'était que ça. Il est passé plus de choses dans notre langage usuel ces dernières années que de lois stupides et inappliquées dans notre code pénal, c'est dire. Non non. Cette expression n'est pas non plus simplement rentrée dans le dictionnaire, car là aussi, il est entré ces dernières années dans le dictionnaire tellement d'incongruités qu'il ressemble désormais plus au sphincter d'une hardeuse quinquagénaire en mal de sensations nouvelles qu'au stricte recensement de la langue de Voltaire qu'il est théoriquement censé être. Ça, ça n'est pas grave, nous nous sommes faits à l'idée. Mais le premier qui m'écrit nénuphar avec un « f », je lui broie les phalanges – sans « f », non plus – une à unes, puis je lui coupe les mains et je les mets sous clef.

 

Oui, avec un « f ».

 

Non, la cible de notre diatribe ne s'est pas contentée d'entrer dans les orifices baveux et grands ouverts de notre langage usuel et institutionnalisé. Pire encore. Cette expression, qui pour le coup exprime parfaitement le niveau d'inculture lexicale profond de celui – ou celle, ne soyons pas sexistes – qui l'emploie, mais aussi un mépris aussi absolu que désespérant pour l'amour de la langue, sa sonorité, sa richesse et son histoire, bref, cette expression – abhorrée, donc, pour les deux du fond qui ne suivent pas – a tout simplement remplacé celle existante, qui pourtant décrivait bien mieux la chose, tout en y adjoignant, attention nous allons employer des gros mots, des concepts jugés aujourd'hui désuets tels que la justesse, la culture littéraire, l'esprit, en somme.

 

L'expression honnie dans ce billet d'humeur est donc...

 

*roulements de tambours*

 

« Trois petits points. »

 

Oh oui, je vois bien vos regards bovins perplexes, fruits d'un abrutissement programmé par des instances se félicitant de la débilisation de ses ouailles. Tout ça pour ça, vous apprêtez-vous à ne pas m'écrire dans les commentaires que personne ne m'écrit. Ben oui, tout ça pour ça. Persistons et signons, amis imaginaires. Car, pour votre gouverne apathique, l'expression consacrée est en réalité « points de suspension ». Oh, mais bien sûr, vous le saviez. Oui-oui-oui. Seulement, vous ne l'employez pas. Voilà-voilà.

 

Si seulement il n'y avait que vous. Si seulement. Mais voilà, c'est vous qui dictez, petit à petit, le niveau lexical avec lequel les grandes personnes se donnent le droit de vous parler. C'est qu'elles veulent être comprises, les bougresses. Y compris par les sots, alors elles s'adaptent. Sans oublier qu'elles comptent elles-mêmes dans leurs rangs nombres d'incultes à l'auto-satisfaction végétative suintante. Le jour où vous ne parlerez plus qu'en un concert de gargarismes gutturaux, les journalistes et autres hommes politiques en feront autant. Les auteurs – les vrais, pas moi, ceux qui vendent des livres, et qui donc ont un impératif de lisibilité associé au sacro-saint appât du gain – aussi. Non parce que s'il n'y avait que vous qui les employiez, ces PUTAINS de « trois petits points », je n'aurais jamais écrit ce billet. Sauf qu'en deux mois, ça n'est pas moins de trois journalistes qui l'ont employé, écorchant mes yeux et mes oreilles. Deux de télévision, un de presse écrite. A chaque fois pour souligner le sous-entendu d'un communiqué écrit du genre : « X a répondu, par la voix de son avocat, que gna-gna-gna trois petits points. » Pire encore, goutte d'eau faisant déborder la jarre à la profondeur pourtant légendaire de ma patience, un auteur, dont nous tairons le nom – parce que je l'aime, ce con – l'a employé dans son dernier roman, excellent ceci dit malgré l'Alzheimer avancé dont il souffre au point de réclamer sur la chaîne principale de son pays son droit à l'euthanasie. (Le premier qui marque dans les commentaires le nom de l'auteur dont je parle gagne un exemplaire gratuit de mes futurs livres qui ne paraîtront probablement jamais). Nous mettrons donc cet égarement ponctuel sur le compte de la maladie, non sans un mail rageur mais poli à l'attention de son traducteur.

 

Bref ! C'est bien simple, en un an que cette histoire a commencé à VRAIMENT m'agacer, personne, je dis bien PERSONNE, que ce soit dans mon entourage ou dans les médias, personne, donc, n'a plus employé « points de suspension ».

 

Rien que ces ridicules et absurdes « Trois petits points. »

 

C'en est trop. Aux armes, amis lettrés, même si imaginaires.

 

Je peux comprendre que le point d'exclamation, dans un souci de clore une argumentation enflammée, puisse se transformer en « point barre ». Passe encore, parce que cette expression n'a pas remplacé le-dit point d'exclamation, elle a sa vie propre, si bien même que beaucoup en ignorent l'origine. Mais quelle excuse, celle de la paresse ignorante exceptée, peut expliquer le fait de remplacer des « points de suspension », à la fois justes et classieux, par « trois petits points » aussi ridicules qu'incorrects ?

 

Parce que vous en avez déjà vu vous, dans n'importe qu'elle langue, des « gros points » ? Depuis quand il y en a-t-il plusieurs tailles ? Un point est un point, c'est d'ailleurs à peu de choses près sa raison d'être. Pourquoi « trois petits points » ? allons au fond des choses, et ayez au moins la décence et la justesse d'employer une expression sinon dédié au moins véridique, du genre « trois points de taille moyenne tels qu'ordinairement représentés ».

 

Comment ça, c'est stupide ?

 

Ben ouais, c'est stupide.

 

C'est pour cela que ça s'appelle des points de suspension. Parce que ça ne précise pas de manière idiote la taille des-dits points et que cela indique clairement la suspension de l'idée les précédant, raison d'être exacte et stricte de ce procédé de ponctuation. Voilà tout. Point-barre, oserais-je dire.

 

Mais bon, autant pisser dans un violon. Ce cri contrit d'exaspération trop longtemps ruminé restera sans écho, je ne me fais aucune illusion là dessus. Le monde va trop vite. Pas le temps de se retourner, hein ? Une clé restera une clé et dans peu de temps lorsque que je taperais « Clef » sur mon logiciel de traitement de texte celui-ci soulignera le terme de rouge, indicateur aussi borné que désespérant de la fuite en avant que subit notre langue, à l'instar de tous les secteurs de notre vie. Une course effrénée, droit devant. Et qu'importe. Qu'importe la culture, le devoir de mémoire, le recul, l'impact de nos non-choix – notre précipitation – sur le futur. C'est la culture de l'instant, de l'immédiat.

 

Une putain de chute libre, bien enivrante.

 

Et dans une chute libre, mon ami, il n'y a point de suspension.

 

Juste le point d'impact qui se précipite sur nous.

 

Un bon gros point final.

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commentaires

P
Au fait, tout à fait d'accord avec le premier commentaire...
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E
<br /> <br /> Merci! =)<br /> <br /> <br /> <br />
P
Et mince, j'arrive trop tard! Après une petite recherche sur internet (et oui, j'ai triché), je connaissais enfin le nom de l'auteur dont tu parlais!<br /> Dommage, je n'aurai pas droit à tes livres gratuits!<br /> Pourras-tu au moins m'en dédicacer un?
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E
<br /> <br /> T'en fais pas prune, le jour où je publie, j'en achète trois cents exemplaires, que j'envoie à tout le monde!<br /> <br /> <br /> Et tu seras dans les premières à le recevoir, promis!<br /> <br /> <br /> <br />
J
C'est Terry Pratchett ! Mais ne serait-ce pas le traducteur que tu devrais blâmer ? (J'ai gagné mon exemplaire ?)
Répondre
E
<br /> <br /> Bravo Julie! Tu as gagné un hypothétique exemplaire des mes futur hypothétiques ouvrages édités par d'hypothétiques éditeurs.<br /> <br /> <br /> Que du concret! x)<br /> <br /> <br /> <br />
D
Tout simplement génial ! Faire un texte aussi grandiose sur une si petite chose, c'est véritablement bluffant et je ne peut que t'applaudir !<br /> <br /> De plus, tu y a mis tellement de convictions que ce texte a eu un fort impact sur moi, je me suis senti tout à coup coupable d'utiliser l'expression "trois petits points".<br /> <br /> Et si un texte touche autant son lectorat, fait ressentir toutes sortes d'émotions, c'est gagné ! Tu fais parti des grands ! Certes tu n'es pas publié, et encore moins connu, mais au moins tu sais<br /> mobiliser l'aspect émotionnel de tes lecteurs et ce n'est pas donné à tout le monde !<br /> <br /> A mes yeux, c'est de l'art que tu nous sert ! Sincèrement... (Tiens ! Des points de suspension ! ;-) )<br /> <br /> Voilà, j'ai déjà fini mon commentaire alors que tu pourrais recevoir encore plus d'éloges je suis sûr... Malheureusement je n'ai pas ton talent pour étayer tout un sujet sur une page entière...<br /> (Encore un autre bon point pour toi !)<br /> <br /> Je ne peux finir qu'en te disant de continuer sur cette voie, et que je lirai avec plaisir tes prochains écrits !
Répondre
E
<br /> <br /> Merci beaucoup Dav'!! :'-)<br /> <br /> <br /> Tes encouragements me sont bien plus précieux que tu ne le penses probablement.<br /> <br /> <br /> Merci encore!<br /> <br /> <br /> <br />