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25 septembre 2011 7 25 /09 /septembre /2011 10:13

        

 

(Pour la première partie, cliquez ici)

 

 

Thomas travaillait dans une boite de vente d’habits par correspondance, qui s’était ouverte grâce à l’explosion du e-business. En gros, il remplissait des cartons. L’entreprise s’était installée là à la faveur de lois censées inciter les entrepreneurs à investir cette région désolée. Le chef d’équipe fit les gros yeux à Thomas en le voyant arriver en retard, ce dernier baissa la tête en passant devant lui et rejoignit son poste sur la chaîne, dans le brouhaha incommensurable de la lourde machinerie qui remplissait tout le hangar dans lequel il travaillait. C’était parti pour huit heures.

 

Rien de notable ne se passa durant la matinée. Rien de notable ne se passait jamais dans ce boulot, de toutes façons. A midi, Thomas alla s’acheter un sandwich triangle au distributeur de la salle de pause, et s’installa parmi ses collègues. Dans son gobelet en plastique, un autre gramme de paracétamol et de citrate de bétaïne fondaient en cœur, sous les regards amusés. Passés les quolibets d’usage concernant son retard et son teint pâle, la discussion s’orienta sur les sujets rituels, soit le programme télé de la vieille et les actualités. Thomas se tint en retrait, à la fois parce qu’il n’avait pas vu les téléfilms ou émissions citées, parce qu’il n’était que rarement d’accord avec ses collègues concernant les questions politiques, et qu’il avait très, très mal à la tête.

 

Puis un jeune collègue qui avait pour habitude de manger dans sa voiture tunée en écoutant de la house-music s’adressa à lui, en parlant fort, lorsqu’il pénétra dans la salle de pause pour prendre un café :

 

« Eh, Tom, faut absolument que tu enlèves les galeries de ta caisse, elles vont vraiment tomber, là. »

 

Thomas prit cela pour une nouvelle raillerie. Il était vrai qu’une de ses galeries était fendue, mais les autres se portaient bien, et elles étaient loin de tomber.

 

« Ouais, ouais, ça va, hein, répondit-il en poussant la voix. On ne se moque pas d’une vieille dame. »

 

Son collègue eut une moue d’incompréhension, et haussa les épaules.

 

« Tu fais comme tu veux, je t’aurais prévenu. »

 

Puis il repartit boire son café en écoutant son caisson de basse 400watts, portières ouvertes. Le côté pratique était qu'il n'avait nul besoin de touillette, les vibrations parcourant sa voiture auraient fait repartir un cœur à l'arrêt depuis deux jours. Le côté con, c'est qu'il était à moitié sourd à vingt-deux ans.

 

Thomas releva la tête de son sandwich qu’il ne parviendrait de toutes façons pas à finir. Ça ne ressemblait pas aux railleries habituelles de ce collègue, qui ne maniait que très rarement l’ironie, ou alors avec la grâce et la délicatesse d’un pachyderme, et qui généralement concluait chaque moquerie d’un rire gras et bruyant. Thomas se leva péniblement et alla jusqu’à la fenêtre qui donnait sur le parking. Il resta bouche bée.

 

C’était un fait, il fallait qu’il retire les galeries. Trois des quatre étaient cassées en deux par le milieu. Pourtant il était presque sûr que la veille elles étaient dans leur état normal. Il chercha ce qui pouvait expliquer la rupture de trois galeries pendant la nuit. Mais toutes les hypothèses mettaient en scène une branche d’arbre qu’il aurait dû retrouver au matin. Et puis, il n’y avait pas d’arbre autour du parking. Peut-être, pendant la nuit, un voisin excédé par le bruit qu’il faisait avec son ami avait-il balancé quelque chose sur sa voiture, puis était venu le récupérer pour ne pas être identifié. C’était tiré par les cheveux, mais c’était pour Thomas la plus plausible des hypothèses. Un voisin, ou le concierge.

 

Il s’écarta un peu, trouva un coin tranquille et tenta d’appeler son ami sur son portable, qui ne répondit pas. C’était étrange, il répondait toujours à Thomas d’habitude, quelles que soient les circonstance. Une fois il avait même décroché au commissariat où il attendait de se faire interroger après avoir été pris en train de fumer un joint. Dans un trait d’humour bien à lui, il avait décroché en hurlant « planque la beuh, j’viens de me faire choper ! », hilare. Ça ne fit manifestement rire que lui, puisque cela valu à Thomas une fouille entière de sa maison, avec son ami, menottes au poignets, qui répétait à qui voulait l’entendre qu'il « déconnait ». Bien entendu les gendarmes étaient repartis bredouilles. La grand-mère de Thomas avait été ravie de lui garder quelques jours cette boite à chaussure odorante.

 

Mais non, son ami ne répondait pas, pas même au deuxième, ni au troisième essai.

 

Thomas soupira de dépit et alla se rasseoir, en passant prendre un coca au distributeur. Peu importait la raison finalement. Ce soir à la débauche, il fallait qu’il retire les galeries, qui de toutes façons ne lui avaient servi qu’une fois pour un road-trip qui s’était terminé au bout de deux heures sur une borne d’autoroute où une dépanneuse lui avait englouti tout son budget vacance.

 

La sonnerie de l’usine retentit pour la reprise. Encore quatre heures.

 

Finalement, la journée de travail voulut bien se terminer, avec comme il se doit les deux dernières heures qui en parurent six à elles seules. Thomas sortit dans les premiers, et retrouva sur le parking le vent froid et la grisaille. Il monta directement dans sa voiture par la porte passager, en faisant mine de ne pas entendre les rires de ses collègues. Heureusement, la vieille dame voulut bien démarrer du premier coup, et il s’éloigna aussi vite qu’il put de ce lieu qui lui mangeait ses journées, semaines, mois et années dans un incommensurable ennui.

 

Dix minutes plus tard, il était chez lui. Il habitait une bâtisse moche aux murs de parpaings nus, au jardin en terrain vague. Son seul voisin était une ferme porcine, bruyante et odorante. Un peu plus haut, à cinq minutes, se trouvait la charmante bicoque de sa grand-mère. Normalement, il passait la voir tous les soirs, mais ici la nuit tombait vite, et il devait s’occuper de ses galeries. Sans compter qu’avec la mine qu’il avait, elle allait se faire du souci. Non, aujourd’hui, il se contenterait de l’appeler.

 

Garant sa voiture dans l’allée, sous le regard concupiscent des énormes cochons de son voisin, il s’attaqua sans attendre à ses galeries, armé d’un tournevis pour les retirer. Mais lorsqu’il tendit la main sur le toit de sa voiture, il cria de surprise et d’horreur, tomba à la renverse, sur son séant, dans une terre humide et argileuse. Il se releva, tremblant, la migraine battant ses tempes, et tendit la main de nouveau, avant de la retirer avec empressement.

 

« Putaindebordeldemerde ! »

 

 

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commentaires

N
<br /> Mais moi je la kiffe celle-là! GG!<br /> <br /> <br />
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E
<br /> <br /> Merci ma soeur, la suite est en ligne!!<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> Tu as le chic pour couper ton texte!<br /> La suite!!! La suite!!! La suite!!!<br /> <br /> <br />
Répondre
E
<br /> <br /> D'ici la fin de la semaine, promis! ;)<br /> <br /> <br /> <br />